Accompagner les enfants pour qu’ils grandissent sainement

Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous en premier lieu pour diminuer les souffrances des enfants concernés?

Sarah Vilpert: Je briserais le silence pour qu’ils puissent partager leurs soucis plus librement en sachant qu’on les écoutera. Pour cela, nous devons lutter contre la stigmatisation qui frappe les personnes en situation d’addiction et qui se manifeste aussi dans de petits gestes, comme le fait de soupirer ou de lever les yeux au ciel au cours d’une discussion. On a tendance à moins faire confiance à ces personnes et à les prendre moins au sérieux, souvent en raison d’expériences décevantes avec elles. Les professionnels aussi doivent surmonter leurs préjugés. Rester objectif est un réel défi.

La dévalorisation et le jugement sociale ont également des conséquences pour les enfants. La plupart des membres de la famille ont honte, de sorte qu’il est difficile de parler ouvertement des problèmes. Avec le programme «Papa boit. Maman boit.», qui comprend la Semaine nationale d’action en mars, nous souhaitons créer un espace sûr où chacun, chacune puisse s’exprimer.

Que faut-il pour que la Semaine nationale d’action soit un succès?

La Semaine nationale d’action vise à faire connaître largement la thématique des enfants de parents avec une addiction et les offres de soutien pour ces situations. Les organisations actives dans les domaines des addictions, de la famille, de la jeunesse, de l’éducation, de la petite enfance, de la santé ou autres relaient les informations et font connaître leurs offres. Des actions sont prévues aussi bien pour les milieux professionnels que pour le grand public: séances d’information et de réseautage, ateliers, lectures, campagnes dans les médias, etc.

Lorsque la thématique est abordée publiquement, en parler devient plus normal et les personnes concernées peuvent plus facilement chercher de l’aide.

Pourquoi est-il important de soutenir les enfants concernés?

Ces enfants ont un risque accru de développer eux-mêmes une addiction ou des troubles psychiques. À la maison, ils voient que l’alcool aide apparemment à décompresser. Beaucoup reproduisent ce schéma plus tard, même s’ils ne le veulent pas à la base. Cela peut entraîner de la culpabilité et un stress supplémentaire qu’ils gèrent en consommant trop. C’est un cercle vicieux. Il existe ainsi une transmission intergénérationnelle de la consommation problématique de substances.

Les conflits familiaux, la violence ou la négligence que peut engendrer la consommation problématique des parents présentent un risque pour le développement des enfants. Même si ceux-ci perçoivent les dysfonctionnements, ils finissent par penser que c’est normal. Les répercussions négatives de ce climat familial se prolongent souvent jusque dans l’âge adulte. Il est donc essentiel d’aider ces enfants, pour que les problèmes d’addiction ne se transmettent pas de génération en génération.

Tous les enfants concernés ont-ils besoin d’un soutien?

L’idée n’est bien sûr pas d’imposer une aide. Mais le soutien ne se résume pas uniquement à un éventuel accompagnement thérapeutique ; il peut prendre différentes formes. Bien souvent, des choses toutes simples sont déjà utiles, comme le fait de pouvoir parler à un adulte de confiance, que ce soit au sein de la famille élargie, à l’école ou dans le club sportif. Il est également important que ces enfants puissent pratiquer leurs hobbies et organiser leur quotidien sans devoir assumer des responsabilités – s’occuper des jeunes frères et soeurs, par exemple – qui incombent aux parents. Autrement dit, il est fondamental de créer des espaces et des moments où ils puissent vivre une vie insouciante d’enfant.

Que fait Addiction Suisse ?

Nous rendons la problématique visible pour que davantage d’enfants soient repérés et soutenus. Pour ce faire, nous coordonnons notamment la Semaine nationale d’action. Nous nous engageons également pour trouver des solutions politiques, par exemple pour éliminer les obstacles financiers et rendre les offres d’aide plus accessibles.

Pour nous, la sensibilisation et l’information des professionnel·le·s de l’enfance et de la jeunesse – travailleuses et travailleurs sociaux en milieu scolaire, personnel des crèches – revêtent une importance primordiale. Ces personnes ont des contacts fréquents avec les enfants et devraient pouvoir repérer les situations problématiques et connaître le soutien disponible auprès des services spécialisés. Dans ces professions, les besoins spécifiques des enfants concernés devraient être abordés dans la formation de base et la formation continue. Nous menons en outre des recherches pour bien comprendre les besoins de ces enfants et les offres d’aide en Suisse afin de les développer.

En accompagnant les enfants, on court aussi le risque d’exposer les parents. Comment apporter une aide malgré tout?

Les enfants se montrent loyaux envers leurs parents et se rangent à leurs côtés. Si une solution ne convient pas aux parents, elle ne sera pas non plus acceptée par l’enfant. Il est important de soutenir aussi les parents pour qu’ils puissent assumer au mieux leur rôle éducatif. Discuter avec eux des défis de la parentalité en situation d’addiction est essentiel pour trouver une solution en commun. Il est donc fondamental de construire avec les parents un partenariat basé sur la confiance et la collaboration. Le retrait de la garde parentale est une mesure qui ne doit être utilisée qu’en dernier ressort.

Dans quelle mesure sommes-nous également responsables en tant que voisine, parrain ou autre?

Toutes les personnes qui gravitent dans l’entourage de l’enfant ont une responsabilité à assumer. Nous pouvons agir en écoutant, en manifestant de l’intérêt et de l’attention. Un petit geste apparemment insignifiant peut faire une grande différence. Quand l’enfant se sent écouté, cela l’aide. Proposer une sortie ou une promenade ensemble peut aussi être bénéfique. Le cas échéant, on pourrait conseiller à l’enfant de voir un ou une spécialiste ou contacter les autorités en cas de violence ou négligence.